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Connaissez-vous le « syndrome de l’imposteur » ?

La première fois que j’ai entendu cette expression, c’était il y a cinq ans peut-être. Au détour d’une conversation, quelqu’un a lâché l’expression et ça a fait tilt dans mon esprit. Et si, moi aussi, je souffrais de cette étrange affection ? Quelques recherches plus tard, je me suis rendue compte que je correspondais assez bien aux critères, mais surtout que je n’étais pas seule ! Les mécaniques du sentiment d’imposture revenaient souvent dans les conversations avec mes amis, lorsque nous étions étudiantes et pas vraiment rassurées sur notre avenir. Est-ce donc un problème généralisé, lié à l’époque dans laquelle nous vivons ?

J’ai toujours aimé apprendre de nouvelles choses par moi-même, et très vite, j’ai développé des compétences en autodidacte. Aujourd’hui, la démarche est simplifiée puisqu’on peut presque tout apprendre sur internet. Malgré tout, je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà vécu une situation où ces compétences aient pu être valorisées dans le cadre scolaire comme dans le cadre universitaire. La culture de l’éducation bornée n’est-t-elle pas un peu responsable de cette perte de confiance lorsqu’on est plus à l’aise en dehors du cadre classique ? J’ai essayé pendant plusieurs années de comprendre pourquoi je me dévalorisais sans cesse, et cet article réuni quelques pistes de réflexions personnelles.

Le « syndrome de l’autodidacte », en quelques mots…

On pourrait l’apparenter à un manque de confiance en soi mais je crois que c’est bien plus profond que ça. C’est l’incapacité totale de s’attribuer le mérite d’une action, c’est presque ne pas assumer d’avoir accompli quelque chose, ne pas se sentir légitime. Ce « syndrome » qui est à la base plutôt une « expérience », a été révélé en 1978 par deux psychologues, Pauline Rose Clance et Suzanne Imes, qui ont remarqué chez certaines femmes (à une époque où le sexisme était bien pire qu’aujourd’hui…) une incapacité à attribuer leurs réussites à leur intelligence, qui les mettaient plutôt sur le compte d’un coup de chance. La belle affaire. Finalement, il s’avère que les hommes en souffrent aussi (tiens donc !) mais qu’il est plus marqué chez les femmes puisqu’elles sont souvent moins soutenus dans leurs réussites.

Un parcours semé d’embuches

Cette remise en question permanente était omniprésente pendant mes études, surtout lorsque je suis arrivée en fac de Lettres. Moi qui pensait enfin avoir trouvé ma place, après des années lycée en dents de scie, je me suis retrouvée entourée de personnes suffisantes qui me rappelaient sans cesse que si on n’avait jamais lu tel auteur ou tel classique, on s’était sans aucun doute trompé de voie. Pas top pour l’estime de soi. J’étais volontairement à la traine dans les matières qui traitaient des auteurs classiques (sauf quand le professeur faisait un effort d’ouverture d’esprit), un peu moins quand le cours s’écartait un peu des sentiers battus.

J’ai peiné à obtenir ma licence et à justifier le choix de continuer auprès de mes proches alors même que je savais au fond de moi que ma place était là, parce que je ne me voyais pas ailleurs et surtout parce que les livres sont toute ma vie. Alors je me suis accrochée avec le sentiment d’être à coté de la plaque. Pas facile de se sentir bien dans ses baskets avec un tel bagage émotionnel.

Un combat perdu d’avance

Lorsque je suis entrée en Master, j’avais enfin l’impression d’être tombée au bon endroit, au bon moment. Et pourtant, en toile de fond se dessinait une fois de plus mon sentiment d’imposture. Alors que je sortais d’une année sabbatique pour renflouer mon compte bancaire, mes camarades, fraichement sortis de licence, avaient clairement une longueur d’avance sur moi. Et lorsqu’il s’agissait de présenter nos parcours (exercice que nous avons abondamment reproduit pendant deux ans pour mon plus grand plaisir…) devant la classe entière, je me sentais comme l’idiote du village. Chacun y allait de son expérience dans le milieu de l’édition, du journalisme, de la librairie et j’en passe, pendant que moi, je ressassais mes années passées à travailler dans les rayons de Carrefour ou sur les lignes de production des usines de ma région. En somme, tout le monde avait déjà un pied dans le secteur, et je démarrais pour ma part avec un sacré caillou dans la chaussure.

En bref, vous aurez saisi le concept, sans le vouloir, les autres ne cessaient de me renvoyer à ma propre condition : Qu’est ce qui me permet de justifier ma présence ici ? Qu’ai-je fait pour mériter d’être avec ces gens visiblement meilleurs que moi ? Même si j’ai réussi mon master sans trop de difficultés, je n’ai pas forcé parce qu’une petite voix dans ma tête ne cessait de me répéter que je n’allais jamais réussir à en faire mon métier. Le pire, c’est que convaincu qu’on ira jamais au bout des choses, on finit par en faire le minimum parce que l’échec est beaucoup plus facile à gérer que la réussite. Et quand on y pense, c’est complétement fou.

Ne jamais se sentir à sa place

La culture du diplôme, en France, parlons-en ! La bien-pensance nous dit que lorsqu’on a pas le diplôme, on ne sait pas faire. C’est complètement faux mais par habitude, cela va déclencher une remise en question : Des centaines de personnes le font mieux que moi, alors pourquoi serais-je légitime à le faire aussi ? De cette manière, on peut remettre en question chacune de ses réussites parce qu’elles ne nous paraissent pas réelles. Et on trouve une foultitude d’excuses : « Je ne suis pas assez doué », « Pourquoi moi alors que d’autres sont meilleurs ? », « Et si on me jugeait ? », « Je n’ai pas les qualités nécessaires », « Je n’ai pas le diplôme nécessaire » (cette dernière étant sans aucun doute la plus terrible).

Avant de reprendre le chemin de l’école à 30 ans, j’ai fais un bilan de compétences. Ce qui en est ressorti m’a permis de comprendre que les diplômes justifient de nos années d’études mais que ce sont surtout nos expériences qui font ce que nous sommes. Ainsi, j’ai acquis au fil de mes jobs, de mes stages et de mon parcours universitaire, une multitude de savoirs qui font de moi une personne intéressante dans des domaines plus larges que ceux auxquels mon diplôme me cantonne. Ce n’est pas parce qu’un savoir n’est pas validé par un papier qu’il n’est pas valable.

Porter un costume trop grand ?

L’expérience la plus difficile est sans doute celle liée à mon métier. J’ai étudié pendant près de six ans pour devenir éditrice, j’en rêvais nuit et jour, c’était mon « life goal » parfait. Je me sentais faite pour ça, mue par une énergie particulière à chaque fois que j’imaginais ma vie une fois le diplôme en poche et finalement, je ne me suis jamais sentie légitime. J’ai posé mes propres barrières et je n’ai plus jamais réussi à les dépasser. Dans l’édition, on a parfois droit « de vie ou de mort » sur un auteur (je grossis volontairement le trait, on ne tue personne fort heureusement ;)) et je ne pouvais pas m’empêcher de me demander : « Qui suis-je vraiment pour décider si tel ou tel histoire mérite d’exister ? »

J’ai eu la chance d’être prise au sérieux pendant mon stage de fin d’étude et ça m’a sans doute permis de vivre une expérience incroyable. Mais lorsque l’excitation est retombée, cette question n’a pas cessé de me torturer. Encore une fois, je ne me sentais pas en capacité d’être une bonne éditrice quand bien même un beau diplôme prouvait que j’en étais vraisemblablement capable et que les six mois passés dans une maison d’édition n’avaient fait que le confirmer. Mais on ne cesse jamais vraiment de se demander quand les autres vont enfin découvrir la supercherie et nous renvoyer chez nous manu militari. Encore aujourd’hui, quand on me demande quel est mon métier, j’ai du mal à répondre « éditrice » et pourtant, c’est ce pour quoi j’ai travaillé si dur pendant des années.

Peut-être que le diplôme ne m’a pas aidé à me sentir professionnelle, peut-être que les deux ans d’études dans la spécialité n’ont pas permis de bien appréhender un métier plutôt qu’un domaine… Il y a plusieurs pistes de réflexion, mais je sais au fond de moi que je ne me suis jamais sentie légitime et que ce sentiment, je ne le dois qu’à moi et moi seule.

 Et finalement, être juste soi

En plus d’être fatiguant, ce « syndrome » amène son lot de frustration. Lorsque je réalise une tache dans laquelle je suis à l’aise, je me sens pleine de force et d’entrain, sure de mes capacités, mais lorsqu’il s’agit de la partager avec d’autres personnes, je suis prise d’une peur panique que l’on juge que je ne suis pas à ma place. C’est ce qui se passe actuellement pendant la rédaction de cet article… C’est un cercle vicieux, dans lequel les émotions contradictoires s’enchainent sans répit.

Alors, maintenant que j’ai identifié les problèmes, et que j’ai osé chercher de l’aide pour réaliser que ma place n’était pas forcément là où je l’imaginais depuis tant d’années, j’ai pu avancer. En ce qui me concerne, le livre reste une part importante de moi-même. J’aime lire, j’aime en parler, j’aime imaginer, j’aime vivre des aventures de papier mais j’ai compris qu’il fallait que cela reste une passion dévorante et non un casse-tête professionnel. J’ai insisté trop de fois avant de comprendre que mes envies et besoins étaient ailleurs. Je prend donc cette nouvelle étape avec sérénité et vais tenter, aussi fort que je le pourrais, d’avoir confiance en mes réalisations.

Prenez soin de vous,

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