Accroché au versant du mont Gris et cerné par Bois-Sombre se trouve Malombre, hameau battu par les vents et la complainte des loups. C’est là que suivit Rouge, rejetée à cause d’une particularité physique. Rares sont ceux qui, comme le père François, éprouvent de la compassion à son égard. Car on raconte qu’il ne faut en aucun cas toucher la jeune fille sous peine de finir comme elle : marqué par le Mal.
Lorsque survient son premier sang, les villageois sont soulagés de la voir partir, conformément au pacte maudit qui pèse sur eux. Comme tant d’autres jeunes filles de Malombre avant elle, celle que tous surnomment la Cramoisie doit s’engager dans les bois afin d’y rejoindre l’inquiétante Grand-Mère. Est-ce son salut ou bien un sort pire que la mort qui attend Rouge ? Nul ne s’en préoccupe et nul ne le sait, car aucune bannie n’est jamais revenue…
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La lecture de Rouge nous plonge tout droit dans un univers sombre et cruel, un univers qui n’a rien à voir avec un conte de fée, qui pourtant tire son essence dans un de ceux que tout le monde connait, et qui, au fil des versions a bercé d’illusions les enfants du monde entier. Rouge est une réécriture du célèbre Petit Chaperon Rouge, conte français d’origine orale qui est aujourd’hui connu sous la plume de Charles Perrault puis des frères Grimm. On retrouve d’ailleurs dans l’histoire de Pascaline Nolot les fondamentaux du conte dans sa version première : la petite fille à la cape et au panier de victuailles, la Grand-mère et le loup, ainsi que le chasseur de la version des frères Grimm.
Il contempla le nourrisson en pleurs avec aversion. Puis il vomit sa sentence en un mot : Rouge !
L’analogie s’arrête ici puisque l’auteure sort le Petit Chaperon rouge du registre du conte pour l’ancrer dans un roman fantastique à la cruauté sans détours, mais qui renoue finalement avec une version ancienne du récit dans lequel la fillette triomphe seule du loup. Un moyen de remettre ici l’héroïne éponyme au centre de son histoire et de faire disparaitre l’avantage masculin derrière la réussite de la femme dans tout ce qu’elle représente : la sorcière, la malaimée, la sanglante, l’hystérique… Toutes ces femmes que l’on rencontre finalement tout au long du chemin de Rouge.
Au dessus de sa tête, colorant le ciel, une aube nouvelle se levait. Rouge.
Mais trêve de bavardage sur les origines, revenons-en à cette réécriture très réussie d’un conte vu et revu. Si ce procédé ne me freine jamais, quand bien même je connais déjà l’histoire sur le bout des doigts, j’aime particulièrement quand l’auteur réussi la prouesse d’offrir une toute autre destinée aux personnages de notre enfance. Lorsque l’on fait la connaissance de Rouge, nommée ainsi à cause de son apparence — une tache de naissance cramoisie sur le visage et la poitrine, ainsi qu’une boursouflure sur l’arcade sourcilière —, c’est une adolescente maltraitée et solitaire qui nous fait face. Le village entier la fuit comme la peste et la rend responsable d’une étrange malédiction qui pèse sur Malombre, depuis que sa mère semble avoir pactisé avec le diable et mit au monde Rouge, avant de mourir en couche. Ainsi, le jour de ses premières règles, chaque jeune fille doit quitter le village pour rejoindre la Grand-mère dans la forêt, escortée par des loups pour éviter toute dérobade. Et personne n’en est jamais revenu. Alors, lorsque les règles de Rouge surviennent, le village est en liesse, espérant par ce biais que la malédiction prendra fin avec celle par qui tout a commencé. Mais, ce que les villageois ignorent, c’est que le diable se cache peut-être derrière les traits d’un habitant que rien ne pourrait laisser soupçonner…
Par conséquent, les habitants avaient dû se résigner définitivement à l’évidence : Malombre était damné, et ses filles, condamnées. Tout cela, par la faute originelle de la mère de Rouge.
Commence alors la quête de Rouge. Une quête de vérité mais aussi une quête de liberté. Et dans ce conte actuel, les cartes sont rebattues. Les bons deviennent les mauvais et les méchants des alliés insoupçonnés. Les sujets sont difficiles, délicats et même s’il n’y a rien de beau dans cette histoire, il est plus que nécessaire de se confronter à ces réalités. Il est question de rouge sang, de rouge colère, de rouge tentateur, de rouge démoniaque et de rouge destructeur. Il est question de viol, de maltraitance, de harcèlement, d’obscurantisme religieux, de transsexualité et de féminisme. Il est question d’un cheminement rendu difficile par le fait d’être né de sexe féminin, de la malédiction d’être une femme, du besoin de se dissimuler pour avancer et des violences perpétrées par des hommes qui jamais ne se sentent fautifs. Et finalement, c’est surtout l’histoire d’une émancipation. D’une jeune fille qui devient une femme et qui reprend le pouvoir sur son destin.
Dès qu’ils t’ont regardée, les gens ont eu peur de ta différence. Avant cela, pour le même motif, ils avaient tremblé devant ta mère devenue aliénée. Aucune de vous deux ne correspondait aux critères de cette chose contraignante que l’on nomme normalité…
On ne ressort pas vraiment indemne de la lecture de Rouge, après avoir vécu des émotions bien différentes : la colère, la sidération, la frustration, la peine… Mais il n’y a pas que du négatif dans cette histoire qui fait tout de même de Rouge une héroïne comme je les aime, qui sort grandie et si forte de ses terribles aventures. Il y a des livres que l’on pourrait recommander à tous, et j’aurai tendance à dire que Rouge n’en fait pas partie, qu’il n’est pas à mettre entre toutes les mains à cause de la dureté de ses sujets, la force de ses convictions et pourtant je trouve qu’il est important de se confronter à tout ce que Pascaline Nolot dénonce avec talent à travers ce roman sans ambage.